Shadow

Bulloises, Bullois,

chers Gruériens et amis de partout,

mes chers enfants, surtout,

 

Aujourd’hui pour la 56ème année consécutive, Saint Nicolas est accueilli à Bulle avec sa cohorte céleste, grâce à la complicité des Tréteaux de Chalamala.

Il s’est adressé à vous un nombre égal de fois, sans autre ambition que de passer en revue les événements de l’année écoulée, Urbi et Orbi. De plus en plus, cependant, les événements se mondialisent, comme on dit maintenant, dépassent largement le cadre de notre coin de pays et peuvent être souvent vécus en direct.

A propos de technique, un ami de Saint Nicolas lui a fait remarquer un brin narquoisement la chose suivante : “Vous avez bien compris l’usage rationnel de l’informatique, Saint Nicolas, et en particulier celui de la fonction copier / coller, pour vos discours !” A vrai dire, le commentaire amical de ce cher Jean-Louis est assez pertinent, car l’histoire est un perpétuel recommencement, même si elle a parfois un goût de jamais vu. Saint Nicolas n’a hélas pas seulement dû changer quelques noms et quelques dates, avec la fonction “remplacer”, car à plusieurs reprises l’impensable s’est produit, défiant les lois des probabilités.

Cette année 2001 avait pourtant commencé doucettement : des élections communales avec leur cortège habituel de heurs et malheurs, vite relativisés, les laissés-pour-compte retrouvant rapidement le sourire et les élus leurs préoccupations. Les Rencontres Théâtrales ont conforté ce sentiment de vie douillette où tout baigne dans l’huile. Le Salon des Goûts et Terroirs a rassemblé également tous les suffrages : quoi de meilleur que ces senteurs qui ont une furieuse tendance à disparaître, au profit du goût industriel ? D’ailleurs, quelques mois plus tard, l’AOC du Gruyère récompensera les inlassables efforts de ceux qui ont cru en lui.

Nous sommes encore entre gens de bonne compagnie, mais l’affaire se corse avec la votation sur la route de détournement de Bulle A189. Ici, le goût tourne franchement au vinaigre pour ceux qui ont déjà donné de leur terre, et à qui on repasse l’escarcelle pour la 2ème fois. Tout a un prix, et là il est très lourd pour tout le monde, car chacun est contribuable s’il n’est propriétaire terrien.

Sans transition, à la suite de tragiques décès qui ont frappé notre entourage, 10’000 jeunes Gruériens ont été vaccinés pour cause de méningite.

Puis nous avons vu par l’étrange lucarne que nous appelons télévision une sorte de compétition en vase clos. Loft Story a réuni à heures fixes le bon peuple de France et de Navarre devant son écran, pour voir s’ébattre quelques jeunes garçons et filles dans leurs activités les plus communes. Bien sûr, il a fallu parfois pimenter le train-train pour que personne ne s’endorme, mais enfin ceci est de bonne guerre lorsqu’il faut contenter l’audimat. Aucun expert en psychologie, aucun philosophe à la mode n’a été trop célèbre ni assez capé pour se pencher doctement sur les états d’âme de Kenza ou la couleur du slip de Jean-Edouard. Phénomène de société où les stars n’ont plus de nom de famille, mais souvent qu’un prénom connu comme le loup blanc. Plus personne n’ignore ainsi qui est Loana, ni hélas, dans un cadre tout différent, ce qu’il est advenu de Sylvia, enfant martyre oubliée de tous. A l’heure de rendre des comptes, on en arrive même à juger que personne n’est vraiment responsable, que c’est la faute à pas de chance.

Quant aux prénoms, vous pourrez rétorquer à Saint Nicolas que lui-même se résume à cela, et que personne ne connaît son nom de famille ! En effet, au 4ème siècle de notre ère, il suffisait de préciser le lieu d’origine de quelqu’un pour le situer. Ainsi, Saint Nicolas de Myre n’est jamais confondu avec son célèbre homonyme de Flüe, pour le plus grand bonheur des enfants qui savent très tôt lequel des deux est pourvoyeur de biscômes.

Tour de force peu commun : à Bulle, l’Autorité fait passer le contribuable à la caisse pour les taxes poubelles, tout en le chargeant des opérations de tri. Peu importe si parfois, ce tri patiemment accompli recycle les déchets à leur état original de mélange : l’honneur écologique est sauf. Les affres financières n’ont pourtant pas empêché notre gentil contribuable d’approuver la construction du nouveau CO à La Tour-de-Trême, l’agrandissement de la bibliothèque du Musée gruérien. Les petits et grands problèmes se côtoient, les plus importants n’étant pas toujours ceux qui font le plus de bruit ! Ainsi, on capture 6 lynx pour les relâcher ailleurs, certains hurlent au loup de voir le chevreuil péricliter alors que d’autres n’en ont jamais vu autant, le grand tétras, lui, étant vraiment en train de disparaître ! Allez savoir, avec toute cette ménagerie… Grogne des paysans, aussi, qui n’acceptent plus de jouer les dindons de la farce mondialisante. Mais le pot de terre se trouve hélas fort démuni devant le pot de fer des géants.

D’autres événements nous sont tombés du ciel, mais qui ne prêtent pas à rire. Des images terrifiantes sont encore bien présentes, qui ont grand-peine à s’effacer. La folie terroriste a montré son plus hideux visage, lorsque les tours jumelles de New York se sont écroulées, lorsque des innocents sont morts pour être montés dans le mauvais avion, pour avoir respiré des poisons lâchement distillés ou pour être nés dans un endroit aride où sont tombées ces derniers temps plus de bombes que de pluie.

Les prétextes ne manqueront jamais pour que se réveillent les vieilles querelles, qu’on en appelle à la guerre sainte, comme si une guerre pouvait l’être. On entend reparler de croisades, vengeance et talion, kamikaze, mots qui resurgissent dès qu’il faut justifier l’écrasement de celui qui a le grand tort de penser et de se comporter différemment.

Ô religion, que de crimes n’a-t-on pas commis en ton nom !

Comme si les folles tueries en série, les tunnels transformés en brasiers ne suffisaient pas au malheur.

Moins sanglante, mais pas très reluisante, l’affaire Swissair ne cesse de rebondir, entre la honte, l’honneur perdu de la Suisse, la pantalonnade politique et le personnel floué à qui ne reste, une fois que tout le monde s’est servi, que les yeux pour pleurer. Saint Nicolas ne s’y retrouve plus dans cette pétaudière : tout au plus peut-il vous assurer qu’il n’a pris aucune participation dans la nouvelle société, bien qu’elle s’appelle Crosse-Air …

Enfin, prenons comme dessert le plus frais de ces événements : nous pouvons nous exclamer : “Habemus Prefectoram !” (nous avons un préfet), car plus personne ne l’ignore à cette heure, la lutte fut chaude, mais Yves Menoud / Maurice Ropraz est notre nouveau premier magistrat gruérien. Aucune fumée blanche ne s’est pourtant élevée du château, alors qu’il y a quelques mois, notre préfecture a frisé la catastrophe pour cause de fumée noire, cette fois. Saint Nicolas est heureux d’être le premier évêque à féliciter chaudement notre tout neuf préfet, à qui nous souhaitons tous un règne d’efficacité et de paix.

A vous tous, merci, qui année après année, réservez à Saint Nicolas et sa Compagnie le même chaleureux accueil ! Et remerciements spéciaux aux multiples dévouements chez les Tréteaux de Chalamala, sans qui la visite de Saint Nicolas ne serait pas. Lui-même aura le plaisir de vous recevoir au loto de ce soir, à l’Hôtel de Ville, où vous pourrez assister à une saynète originale intitulée “Des Arts et des Saints”. Même au Paradis, il y a parfois de la zizanie dans l’air, dès lors qu’on se hasarde à comparer les mérites respectifs des Arts tels que la Peinture et la Musique. Mais la distribution de biscômes au miel du Paradis mettra tout le monde d’accord, c’est sûr !

Saint Nicolas va donc à son habitude vous quitter en musique, la fabuleuse musique qui rassemble et réjouit les cœurs. Ainsi, les Flon-flons du Paradis vont nous interpréter la célèbre Complainte. Saint Nicolas vous donne rendez-vous à l’an prochain ; il vous serre sur son vieux cœur et vous bénit !

2 décembre 2001