Shadow

Saint Nicolas 2018

Bulloises, Bullois,
Gruériennes, Gruériens et amis de partout,
Mes chers enfants, surtout,

En cette soirée de décembre, vous avez été nombreuses et nombreux à patienter sur les
trottoirs de cette bonne ville de Bulle, emmitouflés dans vos vêtements hivernaux. Vous avez
défié les frimas pour m’accueillir dans la joie et la liesse. Vos sourires émerveillés et vos
regards étincelants me comblent de bonheur ! Pour la 73 e année consécutive, Saint Nicolas et
sa cohorte céleste font escale ici, en terres gruériennes, avec la complicité des Tréteaux de
Chalamala. C’est un plaisir renouvelé pour Saint Nicolas que de vous retrouver d’année en
année et de constater votre immanquable fidélité. La tradition se perpétue et se nourrit de vos
rêves d’enfants. La venue de Saint Nicolas est pour vous tous, petits et grands, un instant
éphémère où le temps se fige et donne libre cours à toute sorte d’émotions. Tantôt la nostalgie
d’une enfance insouciante et espiègle chez les adultes, tantôt l’émerveillement face au
thaumaturge chez les enfants. C’est cette effervescence qui permet au miracle de se
produire et à Saint Nicolas de rendre visite chaque année à d’innombrables familles ainsi
qu’aux écoles, foyers et autres institutions.

Au début de l’Avent, beaucoup parmi vous sont perchés à une fenêtre pour guigner un
imprévisible passage de la Jeep paradisiaque dans le quartier. Vous tendez vos oreilles
attentives lorsque les premières notes de la Complainte de Saint Nicolas portées par la bise
hivernale résonnent dans vos maisonnées. L’excitation gagne l’esprit des enfants, impatients
de connaître les annotations de Saint Nicolas consignées à la page 1012 de son Grand livre et
d’être récompensés pour les progrès accomplis durant l’année. Innombrables sont les petites
attentions que vous préparez avec soin, mes chers enfants. Il y a ces chansonnettes et poésies,
qui ébaudissent les vieilles oreilles de Saint Nicolas et attendrissent même les plus endurcis,
ou encore les dessins recueillis tout au long de notre périple, qui viennent enrichir nos galeries
paradisiaques. Vous le savez pertinemment, ces petits riens, nous en sommes friands, et je
vous en remercie ! Ils sont le témoin de votre générosité, la marque d’une innocence fugace.
Ces remerciements, Saint Nicolas les adresse aussi à vos enseignantes et enseignants, ainsi
qu’à vos parents et à vos proches, qui cultivent ainsi une tradition intemporelle.

Tout cela pour vous dire, mes chers enfants, que notre rendez-vous annuel dans votre cité
bulloise est aux yeux de votre évêque affectionné un incontournable. Je suis venu pour faire le
constat des progrès accomplis durant l’année écoulée et vérifier si vous aviez tenu vos
promesses. Mais je suis aussi venu pour dispenser mes largesses. En tant que patron des
enfants, c’est aussi l’occasion pour moi de vous encourager lorsque vous traversez des
moments difficiles et pour assurer vos jolis petits minois de mon éternelle protection. Et cette
année, j’ai eu un plaisir tout particulier à faire la connaissance des élèves de la nouvelle
« école rouille », inaugurée au début de l’automne. Une école qui est le fleuron de la
croissance et la prospérité bulloises. Par contre, Saint Nicolas s’est étonné de l’absence de
quelconque espace vert, qui aurait permis à la ville de respirer un peu.

Plus tard, vous comprendrez que la visite de Saint Nicolas et de ses Noirs Compagnons ne
vous laisse que rarement indifférents. Pour d’aucuns, ces « souvenirs du temps passé » restent
à jamais gravés dans leur cœur. C’est le cas de ce cher Jean-Yves Piffard, qui a imaginé une
histoire aussi magique qu’apaisante. Paru cet automne et illustré par Julien Nicaud, le récit
relate la rencontre entre Saint Nicolas et l’âne Polka, qui suivra son nouveau compagnon de fortune jusqu’à Fribourg. La tradition ne connaît pas de frontières, elle fait aussi vibrer des
anges venus d’ailleurs. Je veux parler d’Elodie Lebreton-Noblet, une Ardéchoise pur sucre
installée en terres fribourgeoises. Elle a façonné en compagnie de ses deux acolytes, Marie-
Victoire Goursolas-Beth et Tiphaine Gareil, l’histoire de l’ange Timéo, qui prépare chaque
année la venue de Saint Nicolas à Fribourg. Quels magnifiques témoignages d’un attachement
sincère à la coutume. Ces narrations nourrissent à leur façon la magie du mythe et ont
particulièrement touché le vieux cœur de votre saint préféré.

Ma brève incursion dans ce chef-lieu gruérien est l’occasion de passer en revue quelques
événements marquants d’ici ou d’ailleurs. Je vous ai observés durant toute cette année au
travers de ma lucarne paradisiaque, mais aussi grâce à certaines informations de votre journal
régional relayées par nos câbles paradisiaques. A ce propos, justement, Saint Nicolas aimerait
saluer ce brave Jérôme Gachet, qui après de longs et loyaux services, a décidé de rendre sa
plume de rédacteur en chef de La Gruyère. Bienvenue à son successeur, François Pharisa, un
vieil ami de Saint Nicolas également, qui s’est mis à disposition pour reprendre le flambeau et
continuer à vous offrir une presse indépendante et de qualité.

Il est un autre personnage, fidèle parmi les fidèles, qui, lui, vous a quittés pour rejoindre mon
paradis lointain. Figure artistique du canton, Jacques Cesa a rendu l’âme cet été, à l’âge de 73
ans. Il laisse derrière lui un héritage exceptionnel fort de milliers d’œuvres. Peintre et graveur,
Jacque Cesa y exprime ses combats, ses pensées et ses sentiments. Il savait susciter
l’enthousiasme et il était reconnu pour son implication totale dans ses projets. Saint Nicolas
salue son engagement humaniste. Dernier en date, son voyage à contre-courant qui l’a mené
jusqu’à la pointe de la Botte italienne. Il est parti à la rencontre des migrants et a dessiné ces
arrivées pleines d’espoir. Jacques Cesa s’est aussi engagé en faveur de la cause des artistes et
a co-fondé les ateliers Trace-Ecart en 1984. Enfin, relevons son affection pour la Saint-
Nicolas : il a mis son coup de crayon au service de la tradition et créé le retable de Saint
Nicolas avec Massimo Baroncelli, retable qui vous annonce mon arrivée chaque année sur la
place du Tilleul. Il a également fait naître deux gravures de l’âne Basile à l’occasion de ma
50 e visite. Foi de Saint Nicolas : l’œuvre de Cesa survivra et continuera de faire rayonner
votre région.

Sur le plan musical, Bulle n’est pas en reste. L’été dernier, la population a marché au rythme
des fifres et tambours à l’occasion du premier Gruyère Tattoo. L’espace d’un week-end, Bulle
fut la capitale de la 27 e Fête fédérale des tambours, fifres et clairons. L’Ensemble instrumental
des CO de la Gruyère ont suscité la clameur du public avec leur arrangement de Thriller.
Au chapitre sportif, toute la Gruyère vibre pour Mathilde Gremaud. La Rochoise réussit
l’exploit de décrocher l’Argent en ski freestyle aux JO de PyeongChang. Jeune prodige de 18
ans, elle a fait rêver plus d’un enfant et ses larmes mettent en émoi toute la région.

Vous le savez, Saint Nicolas est résolument apolitique, mais il est une histoire qui n’aura bien
sûr pas échappé à mes vieilles mirettes. Depuis plusieurs années, une polémique enfle autour
de l’image de Pierre le Noir aux Pays-Bas. C’est ainsi que se dénomme le Père Fouettard
hollandais. D’aucuns jugent que sa représentation est le reliquat d’un passé colonialiste récent
et veulent le bannir en raison de son accoutrement. Alors, mes chers enfants, je peux vous
rassurer sur ce point : Père Fouettard continuera de m’accompagner dans vos contrées, son

attifement céans étant compatible avec les recommandations de l’ONU. Saint Nicolas est
profondément attristé par la récupération politique qu’en fait l’extrême droite hollandaise.
Sur Twitter, il est un usager qui n’aura pas passé inaperçu auprès de ses quelques 100'000
« followers ». Il paraît que c’est l’outil aujourd’hui indispensable en Suisse pour faire de la
politique. Je veux parler de votre Président, Alain Berset. A force de s’afficher aux côtés des
grands de ce monde, bien famés ou mal famés, de tweeter et retweeter les photos de ses
rencontres, le Belfagien s’est mué en Hyperprésident. A un tel point qu’au Paradis, Louis XIV
s’est fait un sang d’encre pour son trône. Peut-être était-ce histoire d’oublier le casse-tête de la
réforme des retraites et du système de santé ? Le premier de classe du Conseil fédéral n’aura
néanmoins pas rechigné à se mêler à la foule en emmenant ses collègues à Bulle et à Charmey
durant leur traditionnelle course d’école.

Signe que Bulle grandit et évolue : l’exécutif pourrait être professionnalisé. C’est
certainement un pas nécessaire pour le chef-lieu gruérien. Espérons que l’urbanisme bullois et
l’aménagement du territoire en seront impactés positivement. Avec les bouchons quotidiens
qui se forment en ville, même Saint Nicolas et ses Noirs Compagnons peinent à tenir les
horaires des tournées des familles !

Encore un mot pour conclure. Saint Nicolas aura le plaisir de vous retrouver ce soir à l’Hôtel
de Ville où se déroulera le traditionnel loto des adultes suivi de la saynète. L’histoire vous
emmène dans les jardins paradisiaques et vous pourrez suivre les péripéties de Séverine,
Alexine, Isidore et Firmin, qui essaient de trouver une solution à la pénurie de miel et la
décimation des abeilles dans la permaculture. C’est grâce à ces braves angelots que je pourrai
vous remettre cette année aussi un de ces fameux biscômes, qui vous permettra de passer
l’hiver sous ma protection.

Amis de partout, mes chers enfants, il est temps pour Saint Nicolas et sa cohorte céleste de
prendre congé de vous. Merci à tous d’avoir écouté son message. Votre accueil chaleureux et
votre fidélité m’ont derechef touché. Je vous souhaite à toutes et tous de joyeuses fêtes de fin
d’année.

Saint Nicolas vous sert contre son vieux cœur et vous bénit !

Jacques Tissot